Plaidoyer pour l’ouverture du capital des cabinets
Dérégulation, libéralisation, concurrence, réformes et organisation de la profession sont autant de notions véhiculées depuis plus de dix ans et poussées par les forces externes incontournables. Le vent de libéralisation des services juridiques préconisée par l’Union européenne et l’OMC, doublé du mouvement de dérégulation des professions réglementées impulsé par la Commission européenne, paraissent laisser peu de choix au législateur français et aux avocats pour défendre leurs positions et leur statut actuel.
La crise économique que nous connaissons depuis plusieurs années rend la situation encore plus difficile et fragilise les professionnels, en particulier du fait de la quasi-impossibilité de recourir aux financements de projets et des graves difficultés de trésorerie rencontrées par bon nombre.
La profession, loin d’être immobile, a su, par certains aspects, évoluer en deux décennies (en fait, depuis la fusion avec les conseils juridiques et l’arrivée des anglo-saxons). Formation initiale et continue, spécialisation, structuration de l’exercice, publicité… À-t-elle toutefois bien prévu et mesuré que la compétitivité et la croissance des cabinets français seraient largement pénalisées par le système capitalistique très fermé qui s’impose à la profession ?
Certes, l’apparition des SEL (Société d’exercice libéral) a permis d’organiser la capitalisation et a constitué un bond en avant, permettant le développement de comportements entrepreneuriaux ; ces avancées étant nécessaires, mais encore timides.
Si nous regardons du côté du Chiffre, la loi du 2 janvier 2014 a largement permis l’ouverture du capital des sociétés d’expertise comptable. Outre le fait qu’elle facilite les créations de sociétés d’expertise comptable, ainsi que les prises de participation dans leur capital, elle simplifie et sécurise les conditions d’exercice de la profession et autorise l’exercice en France de la profession sous forme de succursales créées par des professionnels de l’expertise comptable légalement établis sur le territoire de l’Union européenne.
Là où les professionnels du droit font du « sur place », les experts-comptables prennent des longueurs d’avance.
Évolution en Europe et à l’international : les concurrents s’organisent
Il est bien certain que l’évolution qui s’effectue aujourd’hui dans le cadre de l’OMC, si elle renforce le pouvoir des structures d’avocats, ne renforce pas celui de l’avocat exerçant à titre individuel.
Il convient d’envisager une nouvelle réforme de structures afin d’éviter un décrochage de l’avocat français par rapport à ses concurrents internationaux ; il faut combattre à armes égales.
Les professionnels du droit doivent pouvoir ouvrir leur capital à des investisseurs extérieurs tout en conservant le contrôle total de leur structure et sans aucun compromis quant aux règles professionnelles les plus strictes.
L’ouverture d’une partie du capital à concurrence de 25 % maximum permettrait ainsi aux avocats de trouver de nouvelles sources de financement et pourrait être l’opportunité d’attirer des talents complémentaires à leur profession.
En Angleterre, il existe de telles structures d’exercice interprofessionnel dites Alternative business structures, permettant à des avocats et des non-avocats de travailler ensemble, afin de coupler une offre de services juridiques et autres services de conseil. Le capital de cette forme de structure sera ouvert à des personnes extérieures.
Notons que dans nombre de rapports et études, il est envisagé que la direction des cabinets et la majorité du capital ne soient pas détenues par une majorité de non-avocats.
Un peu plus loin mais beaucoup plus retentissant, l’Australie a franchi un cap encore plus interpellant : le cabinet Slater & Gordon Ltd s’est introduit en bourse en mai 2007. Cette levée de fonds lui a notamment permis de financer de nouvelles acquisitions (six en deux ans) désormais payables en titres cotés. En 2010, le chiffre d’affaires de ce cabinet était en hausse de 21 % alors que son bénéfice était en hausse de 16 %.
Plus généralement, et avec un peu de recul, force est de constater que les métiers du conseil sont devenus de véritables entreprises aux ressorts financiers, ce que traduit le mouvement global de transformation des services professionnels et partant de leur structure de capital.
La nécessité du développement
Autres arguments que les statistiques de la profession démontrent : les avocats qui exercent en groupe voient leur revenu augmenter alors que ceux qui exercent seuls les voient diminuer. L’incitation à l’exercice en groupe, notamment pour assurer la visibilité sur le marché hyperconcurrentiel et la pérennité des structures, devient un des axes prioritaires.
On assiste de nos jours au développement des structures de taille intermédiaire, d’une quarantaine d’avocats (souvent par regroupement ou fusion de cabinets). Notons que si l’on intègre le personnel support nécessaire à ce type de taille, on obtient rapidement une entreprise de cinquante à soixante personnes, soit une vraie PME.
L’atteinte de la taille critique devrait permettre, entre autre, de bénéficier de moyens permettant de financer des projets de développement, mais malheureusement ce financement se fait rarement par concours bancaires.
Financer la croissance ne peut se faire qu’à partir d’une saine gestion d’une part, d’une organisation de la gouvernance qui réponde à des critères logiques d’investissement d’autre part, et enfin, d’une aisance dans l’accessibilité au capital.
La création de valeur
Si le débat sur la patrimonialité des structures françaises continue à faire couler beaucoup d’encre, c’est essentiellement parce que les cabinets français ont confondu financement de la retraite et valeur capitalistique de la structure, deux notions qui au demeurant n’ont rien à voir. Le fait d’avoir voulu patrimonialiser les cabinets s’est fait au motif principal de valoriser un actif durement développé durant toute une vie, parfois à des coûts exorbitants, contre tous les principes d’évaluation classiques financiers. Cette approche s’applique de surcroît à des notions individuelles (patrimoine), là où la profession est condamnée à vivre en groupe.
Il s’en est découlé un découragement des jeunes devant le coût d’entrée dans la structure et un frein au développement des cabinets.
La notion de valeur est toute autre. Elle repose sur un fonctionnement entrepreneurial, dans lequel les actionnaires auront pour perspective une création de valeur commune, relevant de la mutualisation de l’outil de production, de la clientèle, de l’organisation et des ressources en général. Elle s’assortit naturellement de mécanismes permettant la fluidité du capital, encore difficilement perçus aujourd’hui tant la propriété individuelle de la clientèle reste une notion prégnante.
Ce temps est toutefois révolu dans la mesure où les vraies « entreprises de droit » ont déjà emboité le pas des réformes successives passées.
Un mode de gouvernance en nécessaire mutation
Dernier argument en faveur de l’ouverture du capital est la régulation du mode de gouvernance, si compliqué dans les cabinets.
Une première spécificité du cabinet d’avocats est sa structure capitalistique particulière. Elle diffère, en effet, de l’entreprise commerciale classique souvent caractérisée par une dissociation entre l’actionnariat et la gestion effective de la société. Dans l’entreprise d’avocats, il y a généralement confusion entre les deux organes que sont l’Assemblée générale des actionnaires associés et le conseil d’administration. Dans de nombreuses associations d’avocats, tous les associés sont à la fois actionnaires et administrateurs. Il est même fréquent que la gestion journalière se confonde partiellement avec l’assemblée générale et le conseil d’administration. Il s’ensuit que la gestion des relations entre associés conditionne de manière incontestable la réussite ou l’éclatement d’un cabinet.
Le consensus devient souvent un outil de management du cabinet d’avocats. On le sait dans l’entreprise : un dirigeant, dès lors qu’il est associé au capital, recherche une création de valeur par la productivité, la compétitivité, le résultat.
Depuis mars 2014, il est possible de créer des structures financières interprofessionnelles, mais le récent rapport Ferrand d’octobre 2014 intitulé « Professions réglementées, pour une seconde jeunesse », préconise d’aller plus loin en proposant un certain nombre de pistes.
Dans ses propositions 16 et 17, il évoque l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral entre professionnels du droit et du chiffre d’une part et la possibilité de créer des structures d’exercice entre ces mêmes professions d’autre part.
Nous pensons qu’il faudrait être un peu plus audacieux en suggérant d’ouvrir le capital à des investisseurs extérieurs, mais également aux forces vives du cabinet (juristes, consultants, « offices manager » ou secrétaires généraux par exemple). Ces dispositions donneraient un nouveau souffle à ces structures et leur permettraient de mieux aborder ce que sera le marché du droit dans un futur proche.