L’incidence du manque de fonds propres sur la stratégie du cabinet
Malgré l’essor impressionnant de la SEL, plus de 70% des cabinets français est encore sous forme de SCP et d’association (dans une moindre mesure), dans des régimes soumis aux BNC. Chacun sait ce que signifie cette option en matière de capitalisation de la structure : une impossibilité de doter le cabinet de fonds propres issus de l’affectation des résultats aux réserves, sauf à considérer que le compte courant de chaque associé fera office de réserve. Or en matière de compte courant d’associé, qui donc a déjà payé l’impôt, ou qui va le payer incessamment, il est particulièrement difficile d’imposer un blocage alors même que le revenu est censé être distribué et qu’il est considéré comme acquis ! Surtout dans les cabinets d’avocats et plus généralement dans les professions libérales subissant la règle du décalage de trésorerie. Les rares structures dans lesquelles on trouve donc des comptes courants, sont des petits cabinets (ayant parfois grossi), dans lesquels le ou les fondateurs prudents ont laissé une partie de leur revenu pour aider à la croissance. On remarque à ce titre qu’ils auraient mieux fait (mais la loi est somme toute récente) de préférer un système de SEL afin de ne pas distribuer l’excédent, de le capitaliser, de valoriser la structure et de ne pas payer l’impôt sur le revenu pour des sommes qu’ils n’ont pas perçues. On remarque également que c’est un puits sans fond. Cet exemple est particulièrement valable dans le cas où d’autres associés les ont rejoints entre temps, sans payer de droit d’entrée. En effet, si le fondateur prétend au remboursement de son compte courant quelques années après, avec quelle trésorerie le rembourser puisque le résultat est distribué en BNC entre tous les associés et que le compte courant d’origine a servi à financer des investissements? On arrive à des logiques d’explosion. Ce cas est malheureusement trop fréquent.
Que faire donc dans un marché qui nécessite des logiques d’investissement de plus en plus fortes sans fonds propres? On rappelle à ce titre, que l’investissement est avant tout, dans les cabinets d’avocats, du temps non immédiatement productif, passé à définir des stratégies, à faire du business development, à ouvrir des départements, à promouvoir un collaborateur au statut d’associé alors qu’il n’est pas encore parfaitement productif, à organiser, à structurer à manager. Or le retour sur investissement de ces actions, on le sait, n’est pas immédiat puisque, par définition, elles s’inscrivent sur le moyen terme, voir le long terme.
Il convient donc de financer ces investissements immatériels devenus aujourd’hui inéluctables et partant d’en avoir les moyens, sans pour autant être dans l’obligation de subir une baisse de revenu ou de détruire sa vie privée !
Première règle, la mise en place d’une gouvernance claire qui laisse place à l’investissement dans les emplois du temps des associés. Ce qui suppose naturellement que cet investissement soit mesuré.
Deuxième évidence, changer de forme de structure et entamer une logique de capitalisation d’une partie des résultats de la structure qui figurera au règlement intérieur, ou encore annexé aux statuts au chapitre répartition du résultat: une autre règle de gouvernance incontournable.
Dans le cas où le changement de structure s’avère difficile (c’est de plus en plus rare), il est bien entendu nécessaire de chiffrer scrupuleusement et opérationnellement tous les projets d’investissements immatériels, d’en mesurer la faisabilité, d’en traduire l’impact à la baisse sur les revenus des associés, de faire un planning des retours sur investissement, de le contrôler et de le faire accepter par la collectivité des associés.
Notons que certains projets immatériels (ouverture de département, implantation à l’étranger) peuvent être financés par voie bancaire à condition que le dossier de ROI (retour sur investissement) soit convainquant.
Enfin, dernier indice, faire financer tous les projets d’investissements matériels avec une durée de vie égale à celle de l’amortissement du bien ainsi financé. Cela permet d’éviter le décalage de trésorerie au moment de la distribution des résultats.
Se développer s’est investir, investir c’est calculer et anticiper ce qui a de surcroît pour mérite d’éviter les écueils du type phase de test non consensuelle.
Et si l’on ne respecte pas tout cela que se passe-t-il ?
Ce qu’il se passe trop fréquemment dans les cabinets. Nous commencerons notre exposé par le stigmate de la logique d’opportunité non maîtrisée, non évaluée qui conduit à des erreurs de stratégie ou de positionnement, difficiles à enrayer.
Deuxième difficulté, l’impossibilité de faire face à tout problème non assurable, tel que le dumping des concurrents sur une période donnée ou un marché donné. Troisième écueil trop fréquent, des problèmes de trésorerie, qui peuvent engendrer des comportements dangereux en matière de facturation, de comportement vis-à-vis de la clientèle et qui sont souvent à l’origine des explosions. Quatrième indice, un frein à tout développement engendrant une évidente stagnation du cabinet. Enfin, si la volonté de capitaliser une partie du résultat est le reflet d’un comportement évidemment solidaire de la part des associés du cabinet, qui réfléchissent « pérennité de structure », l’inverse renvoie souvent à des stratégies individuelles, à l’opposé de l’esprit d’entreprise aujourd’hui nécessaire aux cabinets.