Difficultés et enjeux de la mise en place d’une gouvernance efficace
Nous avons eu le privilège, en janvier dernier, d’animer l’une des tables rondes du Congrès annuel du réseau Eurojuris, consacrée à la gouvernance des cabinets.
Cette table ronde, que nous avions préparée en collaboration avec l’un des cabinets membre, visait à présenter l’intérêt d’une réflexion stratégique à ce sujet et la manière de la prolonger de façon tout à fait opérationnelle à l’aide d’outils pratiques.
A en juger d’une part par la fréquentation de cette table ronde, d’autre part par les questions et problématiques venant en prolongement de ce congrès, il n’y a pas de doute, le sujet est tout à fait d’actualité.
Les difficultés souvent rencontrées en cabinet lors de la mise en place d’une gouvernance opérationnelle tiennent à une série de facteurs sous contrainte desquels devra s’opérer la réflexion.
La première série de facteurs est contextuelle induisant le manque de recul. En effet, les principes intangibles de liberté de choix du client et de liberté d’installation de l’avocat peuvent fragiliser la pérennité des clientèles et des structures, favorisant des raisonnements d’urgence. Par ailleurs, à la différence des produits, on ne possède pas les services, on y accède temporairement : les services sont des performances intangibles induisant des difficultés à modéliser et reproduire. Enfin, la profession a longtemps connu des règles peu favorables à l’exercice en commun: la profession d’avocats est, on le sait, « libérale et indépendante », les règlements intérieurs précisent même qu’il en va ainsi : « quel que soit le mode d’exercice » retenu.
Ces règles tendent à évoluer.
La seconde série de facteurs tient à la spécificité de l’entreprise d’avocats.
Une première spécificité du cabinet d’avocats est sa structure capitalistique particulière. Elle diffère en effet de l’entreprise commerciale classique souvent caractérisée par une dissociation entre l’actionnariat et la gestion effective de la société. Dans de nombreuses associations d’avocats, tous les associés sont à la fois actionnaires et administrateurs. Il est même fréquent que la gestion journalière se confonde partiellement avec l’assemblée générale et le conseil d’administration. Il s’ensuit que la gestion des relations entre associés conditionne de manière incontestable la réussite ou l’éclatement d’un cabinet.
Par ailleurs, la moindre hiérarchisation voire l’absence de hiérarchisation dans les cabinets, constitue un élément distinctif par rapport à l’entreprise traditionnelle. Le consensus devient souvent un outil de management du cabinet d’avocats.
Une autre spécificité tient au fait que les associés sont aussi les producteurs et les vendeurs. Il est rare dans l’entreprise classique, de trouver des PDG, DG, DGA ou autres directeurs directement impliqués dans la production des services de l’entreprise. Ils sont en général tout à leur mission de développement de la question administrative ou commerciale qu’ils gèrent pour le compte des services productifs de l’entreprise. L’art de la délégation devient donc un enjeu majeur dans le cabinet d’avocats. Il s’ensuit naturellement que le mode de rémunération est déterminant pour bien diriger (Origination credits), selon le fameux adage « ne se réalise que ce qui est reconnu ».
La troisième série de facteurs « bloquants » découle directement des deux premières et concerne l’appréhension des équilibres financiers.
L’activité quotidienne d’un cabinet vit au rythme des heures dites facturables d’un coté et non facturables. Sans doute du fait de l’axiome bien connu du « Tout ce qui est facturable est important, le reste est secondaire ».
Cette dichotomie qu’impose le métier de la prestation intellectuelle oblige à une dictature du court terme pouvant mettre à mal la pérennité même du cabinet.
Arrêter d’opposer facturable à non facturable et inscrire la totalité de son temps dans un équilibre entre la priorité clients et la pérennité et l’avenir du cabinet deviennent donc une règle de gouvernance. Encore faut-il pour cela que la règle soit claire…
Dans un cabinet, le premier effort d’investissement est en général le temps passé. Viennent ensuite les engagements financiers.
Il conviendra donc de mesurer et de quantifier avec précision le temps investi dans les actions de développement et partant, de choisir celles pour lesquelles le retour sur investissement sera le plus élevé.
Le problème fréquemment rencontré dans les cabinets réside dans le fait que sont donnés des objectifs en termes de facturation et peu, voire jamais , en investissement.
Enfin, la spécificité du modèle financier du cabinet reste encore un frein au développement. Un préalable à une activité économique est la mobilisation des ressources financières. L’entreprise doit « libérer » du capital. Or, dans l’entreprise d’avocats évoluant sous le statut de profession réglementée, l’apport de capitaux par l’intermédiaire du marché financier est impossible. Notons que les britanniques sont en train de reconsidérer cette notion par le biais du rapport Clémenti qui évoque notamment la possibilité d’ouvrir le capital de l’entreprise d’avocats voire d’associer des non avocats au sein de cette entreprise.
Le financement de l’activité en tous cas dans les structures en BNC, ne peut donc se faire que par des biais détournés.
Notons enfin qu’eu égard aux questions de trésorerie, le mécanisme des professions libérales n’est pas toujours intelligible. Par méconnaissance des règles financières, des rouages comptables et de gestion, par l’application des comptabilités de caisse (BNC toutefois en voie de changement…), la profession est souvent en proie à des difficultés de trésorerie importantes…
Les problèmes financiers que nous rencontrons trop fréquemment viennent obérer les capacités à la pérennité.
Que de contraintes ! Et pourtant, la mise en place d’une gouvernance pérenne est indispensable et nécessaire pour relever les enjeux que nous avons classés en deux catégories :
Les enjeux à court terme :
- Cohabiter : faciliter le quotidien (cas de la réunion d’associés et de la prise de décision)
- Cheminer vers une dimension collective : l’enjeu entrepreneurial (cas de la somme de cabinets)
Les enjeux à long terme :
- Organiser la stratégie : la conquête de marché
- Prévoir et faciliter la transmission du cabinet : une sortie réussie
Les outils devront donc tenir compte de ces éléments et s’y adapter. Nous proposerons d’étudier ces outils dans la prochaine newsletter (n°6) à paraître au mois de juin 2007.