Et si le confinement révolutionnait nos méthodes de travail ?
Dans une lettre au Président de la République du 30 mars dernier, l’auteure Annie Ernaux écrivait : « Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause ».
De fait, la situation exceptionnelle de confinement imposée en raison du COVID-19 a provoqué un bouleversement brutal du cours des choses. Du jour au lendemain, pour la première fois de l’Histoire, la moitié de l’Humanité se voit restreindre deux droits fondamentaux : la liberté d’aller et venir et celle de se réunir.
Un bouleversement qui peut s’avérer profitable
Pour autant, d’autres bouleversements intervenus peuvent se révéler profitables et le temps de confinement est effectivement propice aux remises en cause.
Confinés du jour au lendemain, les professions du tertiaire se sont trouvées face à un choix simple : stopper leur activité ou se mettre au télétravail, et c’est évidemment la seconde option qui a été suivie par tous ceux qui pouvaient continuer à travailler à distance.
Ce passage soudain au télétravail a cependant été vécu très différemment selon que les organisations étaient préparées ou non à une bascule totale de son activité.
Organisation du travail, communication et management seront durablement bouleversés
Au-delà des difficultés d’adaptation plus ou moins importantes des premiers jours, le télétravail imposé par le confinement aura des répercussions durables sur l’organisation du travail, la communication et le management.
Les conséquences sur l’organisation du travail concerneront principalement trois aspects : le temps, le lieu et les outils.
Structurer le temps : passer des horaires à une organisation personnelle et efficiente
La structuration du temps de travail est loin d’être une évidence et nombreux sont ceux qui ne jouent pas dans la catégorie des « super organisés ». Le fait de travailler de chez soi peut avoir deux conséquences : favoriser une meilleure organisation ou, au contraire, faire perdre tout repère.
Ceux qui sont souvent distraits de leur tâche par les collègues qui passent devant leur bureau ou les interpellent sur les open spaces seront de facto moins sollicités et plus concentrés. Évidemment, cela dépend de la situation de vie et la présence de jeunes enfants peut rendre difficile, voire impossible la concentration exigée.
Un principe fondamental dans le télétravail consiste à planifier et organiser sa journée, en se fixant des objectifs. Il faut passer d’une logique d’horaires à une logique d’organisation personnelle efficiente. L’absence de présence physique au bureau permet alors une meilleure organisation de son temps de travail personnel, outre le gain de temps de transport. En bref, pour qui met en place une organisation du temps efficiente, la productivité augmente avec le télétravail.
Quand lieu de vie et de travail ne font plus qu’un
Notre lieu de vie est devenu notre lieu de travail du jour au lendemain. Pour la grande majorité d’entre nous, le lieu de vie ne comporte pas de bureau ou d’espace dédié au travail. Travailler des journées et des semaines entières de chez soi impose alors de s’organiser pour concilier travail et destination initiale de la pièce (chambre, salle à manger, salon…).
L’être humain prenant rapidement des habitudes (nous l’expérimentons à chaque fois durant les vacances), le rapport au lieu de travail va être profondément et durablement modifié. Les habitudes prises à travailler « de chez soi » vont nous amener à regarder différemment nos environnements de travail lorsque sera venu le temps du déconfinement. Temps de transport pour certains vertigineux, locaux froids et sans âme, nuisances sonores des open spaces et promiscuité favorisant la transmission des maladies, prix des plats à emporter pour ceux qui n’ont pas de cantine d’entreprise… Tous ces détails liés à l’environnement de travail seront regardés différemment.
De la notion de bureau à celle d’espace de travail
En effet, même ceux qui seront très heureux de retrouver leur « bureau » ne regarderont plus celui-ci de la même manière : trop grand, trop petit, mal éclairé, trop de papier, trop éloigné du domicile, trop cher …
Le mouvement déjà largement entamé de migration vers des espaces communs (il suffit de regarder le nombre d’espaces de co-workings et de tiers-lieux) va nous faire passer de la notion de bureau à celle d’espace de travail. Certains, comme le cabinet d’avocats BG2V, avaient déjà basculé vers une approche de co-working, et il y a fort à parier qu’ils seront suivis massivement.
Les considérations économiques de crise économique probable à venir ne feront qu’amplifier ce mouvement. Une conséquence positive « par ricochet » de ce mouvement : il sera plus facile d’attirer des jeunes collaborateurs de qualité dans des environnements de travail de type start up que dans des bureaux classiques.
Une nouvelle approche des outils
Le troisième grand bouleversement concerne les outils. Le débat entre ordinateurs portables ou fixes sera définitivement réglé, sauf secteurs particuliers ayant des contraintes de sécurité informatique spécifiques comme la défense. Ceux qui auront opté pour des postes fixes doivent non seulement prévoir un accès VPN sécurisé, mais s’assurer que chaque collaborateur dispose d’une machine suffisamment récente pour se connecter valablement au système informatique de l’entreprise. Et si ce n’est pas le cas, un ordinateur devra être fourni car il est matériellement très compliqué de déplacer les ordinateurs fixes de tous les collaborateurs, ceci n’ayant en outre pas nécessairement la place d’accueillir chez eux une machine fixe.
Utilisation différente des outils et adoption rapide de nouveaux outils
L’autre aspect concernant les outils est la quasi-disparition du papier. Les organisations n’ayant pas pris l’habitude de digitaliser tous leurs documents sont aujourd’hui dans l’incapacité de pouvoir y accéder. Et sans ces papiers, il est parfois impossible de travailler. A l’inverse, ceux qui ont pris l’habitude de tout digitaliser n’ont aucune difficulté à poursuivre leur activité.
Moins de mails quant on est éloignés
L’impossibilité de se voir et d’organiser des réunions physiquement conduit d’une part à adopter de manière virale des outils comme Zoom, Whereby, Trello et autres totalement inconnus jusqu’alors pour certains, et à utiliser différemment des outils habituels, d’autre part. Selon les premiers constats post-confinement, le nombre de mails a considérablement chuté entre personnes d’une même organisation, la communication ayant basculé sur Skype, Teams, Slack et autres outils d’interaction entre personnes comme le bon vieux téléphone qui retrouve des lettres de noblesse. La situation actuelle révèle ainsi que la proximité géographique au sein des mêmes locaux conduit à une inflation de mails inutiles.
Des modes de communication à réinventer
Le second grand pan des bouleversements liés au télétravail concerne la communication et les modes de coopération entre individus.
Au-delà d’être la conséquence de l’utilisation de nouveaux outils, la chute du nombre de mails est avant tout le révélateur d’un changement complet de mode de communication la conséquence de l’éloignement géographique. L’être humain est un animal social qui a besoin de contacts avec ses semblables, qu’il soit introverti ou extraverti.
Dès lors, le mail ne remplissant pas cette fonction de contact, ce sont d’autres modes de communication qui émergent et permettent ainsi de transformer les sujets professionnels en autant d’opportunités de communiquer avec d’autres homo sapiens.
Le confinement impose une actualisation des rituels de l’entreprise : se serrer la main ou se faire la bise le matin, le sacro-saint « café » entre collègues, le déjeuner ou l’after work sont autant de moyens de communication temporairement suspendus. L’être humain s’adapte et organise des pots ou apéros virtuels, des visio-conférences d’équipe ou de cabinet, des jeux internes, bref, il déploie jour après jour un arsenal grandissant de solutions pour maintenir une communication aussi bien interne qu’externe.
Synergies, coopération et entraide prennent le pas sur les silos et l’individualisme
Autre conséquence étonnante de ce télétravail massif et global : il favorise les synergies et brise certains silos comme l’appartenance à un « étage » ou à un « département ». Les espaces délimitant ces groupes plus ou moins fictifs n’étant plus matérialisables, les barrières ou ségrégations induites ont tendance à s’atténuer, rendant possibles des rapports qui ne se seraient pas produits autrement. De même, la coopération et l’entraide semblent se développer et l’individualisme reculer dans ce grand chambardement imprévu.
Le recours massif au télétravail : un enjeu de management
Ces changements profonds liés au télétravail touchent également, et peut-être même surtout, le management des individus et des équipes.
Si le télétravail connaissait certes un certain développement, ses détracteurs étaient néanmoins plus nombreux que ses partisans. Focalisés sur la production et l’efficacité, les détracteurs d’hier sont devenus, du jour au lendemain, les supporters inconditionnels d’un mode de travail qui permet précisément … de continuer à travailler malgré le confinement.
Du contrôle de la confiance et à l’autonomie
La défiance envers le télétravail est le plus souvent liée au besoin de contrôle des managers sur le travail de leurs collaborateurs. Les avoir « sous la main » rassure et évite de penser qu’ils sont en train de se la couler douce dans leur canapé au lieu de travailler.
Eloigné de ses troupes, et face à une contrainte sur laquelle il n’a pas de prise, le manager confiné est ainsi obligé de revoir son mode de fonctionnement, ses priorités, et de prendre en compte celles de ses collaborateurs qui, souvent comme lui, sont nombreux à cumuler leur travail et celui d’enseignant de leurs enfants.
Privé de contrôle et soumis à une forte contrainte, le manager doit ainsi envisager un autre rapport à ses équipes et favoriser confiance et autonomie. La confiance permet l’autonomie et produit des effets inattendus sur les collaborateurs qui se sentent considérés. Au demeurant, plus le manager était dans le contrôle, plus le contraste sera fort et plus le collaborateur appréciera la nouvelle relation.
Plus de flexibilité et d’indulgence
En outre, les contraintes du quotidien auxquelles sont confrontées les managers reclus dans leur foyer les poussent à faire preuve de plus d’indulgence et de flexibilité envers leurs collaborateurs. C’est la concession indispensable pour maintenir un engagement difficile en période de crise.
Avec les semaines, les rapports entre les individus évoluent et la fin du confinement ne signifiera pas un retour à la situation antérieure. Managers comme collaborateurs auront appris à interagir autrement, le plus souvent à leur bénéfice commun.
Si le passage au télétravail n’a été ni souhaité ni anticipé, il n’en modifie pas moins profondément nos habitudes et méthodes de travail, ébranlant nos certitudes quant à un mode de travail plus traditionnel mais peut-être dépassé. Le danger de cette situation est contre-balancé par l’expérimentation inédite, et à grande échelle, d’autres modes de travail possibles, avec leurs limites, mais aussi et surtout leurs avantages.
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