Le droit à la déconnexion : progrès ou ingérence dans l’organisation ?
Ce 1er janvier, la loi travail El Khomri entre en application. Parmi les mesures, une seule a fait l’unanimité : le droit à la déconnexion.
Ce que dit l’article 55 de la loi : « A partir du 1er janvier, les entreprises de 50 salariés et plus devront ouvrir des négociations pour mettre en place des dispositifs de « régulation de l’utilisation des outils numériques » pour assurer le respect des temps de repos et de congés. »
Cette énième loi pour réguler le temps des travailleurs va constituer une nouvelle complication des directions des ressources humaines, qui depuis la loi sur les 35 heures doivent impérativement montrer qu’elles contrôlent les temps de travail, et maintenant vont devoir démontrer qu’elles contrôlent les temps de repos…
Cette disposition est imposée au moment où la transformation numérique est en train d’imprégner l’environnement personnel et professionnel, dématérialisant les échanges, délocalisant le lieu de travail et décalant la dimension du temps entre les individus. Bref, l’ère du « tout connecté » est inéluctable.
L’intérêt de réguler les abus
Il est probable que certains responsables dans les entreprises s’attendent, sans que ce soit demandé explicitement, à ce que leurs collaborateurs répondent à leurs mails immédiatement, même s’ils ne sont pas présents au bureau. Cette pratique est sûrement plus répandue, lorsque le collaborateur dispose d’un smartphone dont le coût est tout ou partie pris en charge par la structure.
Mais cette situation est depuis quelques années déjà abordée dans les entreprises, soit par la mutation des modes de management qui deviennent plus participatifs et éthiques, soit par la mise en œuvre des règles fondamentales de gestion du temps, soit par la prévention des risques psychosociaux (faisant déjà l’objet d’une loi), notamment liés au stress, à la pression, à la surcharge de travail, etc…
D’ailleurs, concernant l’usage de la messagerie électronique, la prise de conscience de ses effets « indésirables » date de plusieurs années. Dans notre newsletter Jurimanagement & Juricommunication n° 19 de juillet 2012, nous avions déjà traité ce thème : « Le courriel à envoyer avec « modération » ».
Pour rappel, nous avions proposé quelques bonnes pratiques, parmi lesquelles :
- S’assurer que le mail soit le bon support de communication adapté au message à transmette, plutôt que le téléphone ou la rencontre physique (face à face ou échange collectif).
- Soigner la forme avec des textes concis et clairs.
- Veiller à bien sélectionner les destinataires et ne pas abuser des destinataires en « copie ».
- Consacrer des temps dédiés dans la journée pour traiter ses mails et ne pas se déconcentrer en lisant ses messages au fur et à mesure.
Comment se mettre en conformité avec la loi ?
Certaines entreprises ont commencé à édicter des règles internes, par exemple :
- Ne pas envoyer de mails après 18h ou 19h, ni le week-end. Et dans le même esprit, ne plus organiser de réunions après une certaine heure.
- Paramétrer le système informatique pour qu’un « pop-up » s’affiche pour signaler que l’on est hors horaire, mais sans que ce soit bloquant.
- Tout simplement, rappeler que l’on n’est pas obligé de répondre si on reçoit un mail en dehors du temps de travail
D’autres entreprises ont intégré une mention spécifique dans les contrats clients, disant qu’ils n’auront pas de réponse après telle heure.
Et si on laissait de la souplesse ?
Les véritables abus imposés par certains managers restent à notre avis peu nombreux et marginaux. Ces responsables sont soit réellement dictateurs (peu probable aujourd’hui) soit réellement stressés (surement probable).
En revanche, l’e-mail reste une formidable invention et facilite souvent les échanges.
Un responsable de cabinet d’avocats nous confiait il y a quelque temps que cela le rassurait d’être connecté en permanence, pour se tenir informé et pour ne pas oublier lorsqu‘il avait pensé à quelle chose. Au contraire, être totalement déconnecté pendant ses temps de repos ou ses vacances était une source extrêmement anxiogène pour lui.
Par ailleurs, certains pères ou mères de famille trouvent plus confortables de traiter leurs mails lorsque les enfants sont couchés…
D’autres personnes expliquent à leurs destinataires, que même si elles envoient un mail à minuit, elles n’attentent pas de réponse immédiate !
Certaines start-up ou entreprises de service (ayant mis en place des règlements intérieurs de fonctionnement fixant les droits et devoirs), emploient une majorité de jeunes « geeks » qui trouvent normal de travailler souvent en décalage des autres. Ceux-ci ne comprendraient certainement pas qu’on les oblige à respecter des horaires particuliers.
En conclusion, il est dommage de devoir édicter une loi, alors que chacun est sûrement capable d’être suffisamment conscient et responsable de son utilisation, et par conséquent ne pas utiliser « un droit » à se déconnecter mais plutôt un « devoir » si sa sécurité physique ou mentale est en danger.